De mon enfance, je garde en souvenir un plaisir d’une intensité forte : choisir un livre nouveau. Plus qu’une habitude, c’était comme un rite, presque un culte aux romans qui trônaient fièrement dans ma chambre d’enfant.
Choisir un livre : un parcours, toujours le même.
Ce moment où je referme un ouvrage, tout juste terminé, et m’empresse de fouiller dans la bibliothèque familiale, je m’en souviens. Lorsque j’étais en quête d’un nouveau texte à me mettre sous la main, je procédais toujours de la même manière.
D’abord remettre le livre achevé à sa place, ensuite revenir au bout de l’étagère et parcourir les couvertures, les unes après les autres, toutes rangées par auteurs dans l’ordre alphabétique – oui, dès toute petite, j’avais déjà un côté psychorigide avec les livres – jusqu’à trouver l’élu. Vous n’imaginez pas l’excitation que revêtait ce moment pour l’enfant unique et solitaire que j’étais. Chaque fois, je me sentais comme Indiana Jones !
Et puis le temps est passé par là, et finalement, la quête du prochain livre est devenue un rituel plus banal. Avec l’arrivée du rythme blog, j’ai anticipé les choses et la surprise s’est un peu atténuée. Jusqu’à ce jour de fin octobre où j’ai retrouvé mes 12 ans.
De la madeleine de Proust…
Face à face à table avec Papa et Maman, puis seule dans ma chambre enveloppée par le silence, les livres, et seulement troublée par le ronron apaisant de mon vieux Labrador. Tout cela va vous sembler bien cliché, mais ce cadre reste pour moi l’un des plus sécurisants.
Après avoir fini mon livre en cours, j’ai fureté du côté de la bibliothèque, comme à l’époque. J’ai d’abord eu du mal à trouver un texte que je n’avais pas encore lu. J’ai sélectionné quelques classiques au passage, puis je suis tombée sur ce tout petit objet à la couverture couleur sépia. Grâce et dénuement, d’Alice Ferney. Et là encore, les souvenirs sont revenus…
… aux premiers pas d’autrice ?
J’ai 13 ans, peut-être 14. Le temps est froid, humide et nous roulons depuis déjà un bon moment. Dans le véhicule d’entreprise au tableau de bord couvert de poussière, sac de ciment à l’arrière, mon père répond à mon mutisme par un « T’es stressée ? » amusé.
Le suis-je ?
Oui, probablement un peu, car nous nous rendons à une remise de prix. Une fois encore, j’ai participé à un concours d’écriture organisé par mon collège. Oui, j’ai la boule au ventre, car l’écriture me tient à cœur et cette nomination m’inquiète.
Quel prix vais-je donc avoir ?
Non, je ne me réjouis pas d’avoir seulement été sélectionnée. Je veux le meilleur ! Pour moi, mais aussi pour eux. J’ai peur de les décevoir.
Les enfants montent sur l’estrade et le verdict tombe « Prix de participation ». Autant le dire : lot de consolation. Le prix : Grâce et dénuement.
Après ça, je n’ai plus écrit pendant plus de dix ans. J’ai posé le livre, sans même m’intéresser à la quatrième de couverture. J’ai rangé mes cahiers, mes espoirs, mes idées, et je me suis concentrée sur la réalité.
Alors, retrouver ce livre plus de 10 ans après m’a fait un choc. Le lire m’a fait le plus grand bien. Grâce à lui, je me suis souvenue pourquoi j’aimais tant lire et écrire ! Je me suis sentie bête d’avoir succombé à la peur de l’échec, et j’ai accueilli ce récit comme un pansement sur mes écorchures passées. J’en ai aimé la poésie, le rythme et l’indulgence. Une découverte forte et une belle conclusion.
« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous ! »
Paul Éluard
Choisir un livre n’est jamais anodin !
Contre toute attente, et alors que j’avais enterré mes rêves d’écriture, cette lecture m’a redonné l’envie de croire en moi-même et en mon potentiel. J’ai beaucoup travaillé, j’ai compris qu’il ne fallait pas abandonner, jamais. Et même si ça n’est pas toujours facile, je serai toujours du côté de la détermination.
Parce qu’aujourd’hui, je peux dire avec fierté que je suis autrice !
Parce qu’un livre, plus qu’une lecture ou un divertissement, peut définitivement changer une vie.