Au premier plan, un immeuble parisien comme il en existe des centaines. A l’horizon : Paris. Allez savoir pourquoi, la couverture de Quelqu’un en vue m’a longtemps laissé indifférente. Souvent, je l’ai observée, sondée. Chaque fois, mon regard se perdait sur ce ciel, ces toits qui s’étendaient à perte de vue. Et je ne parvenais pas à mettre le doigt sur son mystère. Pourtant, passé cette première barrière quelque peu déroutante, on entre dans un univers riche où le hasard a finalement peu de place. Et ma lecture achevée, la construction de cette première de couverture me paraît désormais limpide.
Une magnifique découverte pour cette seconde collaboration avec les Editions Flammarion.
La quatrième de couverture…
« L’observation vire à l’obsession. Soir après soir, il mate. Chacune de leurs fenêtres est une vignette dans laquelle serpente, au rythme des apparitions et disparitions, un microcosme muet et fascinant. Son regard en perpétuel mouvement s’introduit et dissèque le va-et-vient. Du haut de sa tour d’où personne ne le voit, il infiltre les secrets. C’est lui le maton à présent. Les prisonniers sont en face, dans leur cellule baignée de lumière. »
Un roman en vis-à-vis, sur le piège des apparences et le vertige de la liberté.
Mon avis…
Dès la première scène, on comprend que l’environnement va jouer en rôle majeur dans l’évolution de cette histoire. Avec les yeux du héros, Vincent, on vit la découverte d’un nouvel appartement. On s’attarde sur les détails de la décoration. Tout est neutre, propre, mais très impersonnel. Comme une toile blanche sur laquelle dessiner les contours d’une nouvelle vie. Puis son regard se porte sur l’unique fenêtre du logement, s’attarde sur le vis-à-vis qu’elle dévoile, sans le moindre filtre pour faire obstacle. En face, une maison bourgeoise, monstre de verre et de fer d’une affriolante modernité. Piège de domotique abritant le quotidien tranquille d’une famille aisée. Comme le reflet déformé d’une réalité artificielle.
Au fil des pages, le texte lève le voile sur les personnages. Tout d’abord Vincent, un homme récemment sorti de prison qui peine à retrouver sa place en société. Puis Valériane, petite bourgeoise bien sous tous rapports qui s’enfonce dans la détresse d’un quotidien confortable, mais sans saveur. Sous le joug d’un mari avide d’attention, sa vie est un éternel recommencement, rythmé par les faux-semblants et le devoir : être une bonne fille, une bonne épouse, une bonne mère. Elle souffre du mal de notre temps : l’indifférence.
Sans même y prendre garde, un jeu s’installe entre nos deux protagonistes qui ne se sont pourtant jamais rencontrés. Perdu dans une société qu’il ne comprend plus, il se plait à observer la famille de l’immeuble d’en face, tellement heureuse, tellement parfaite. Il mate, jauge, décortique la vie de ses voisins jusqu’à en connaître les moindres détails. Si lui n’a plus d’emprise sur sa propre vie alors se nourrira de celle des autres. Mais les apparences sont parfois trompeuses et le plus malheureux n’est pas forcément celui auquel on pense. Si l’un observe, l’autre ne rêve que d’être vue. Et sous ces regards curieux, elle offre le spectacle de son quotidien, sans fards ni tabous.
Quelqu’un en vue n’est pas seulement un roman sur les apparences, mais aussi sur la communication au sens large. Inès Benaroya a choisi de bâtir son texte sur la base d’oppositions afin de mieux faire ressortir cette difficulté à se faire comprendre.
La première partie du roman se concentre sur le personnage de Vincent, la seconde sur Valériane : deux individus aux parcours radicalement différents et pourtant ils ont un point commun : ne pas se sentir à l’aise dans leurs vies respectives. L’un n’arrive pas à se réintégrer au monde, l’autre y est socialement bien intégrée mais ne parvient pas à trouver sa place. Ainsi, l’auteure pose les bases de son histoire, mais l’intelligence de son écriture se retrouve surtout dans sa construction narrative en miroir. Dans chaque partie se déroulent les mêmes faits mais racontés selon deux points de vue différents. L’intérêt est surtout de mettre en exergue la question de l’interprétation d’une même situation, de la compréhension entre deux êtres. Comme quoi même en ayant la même éducation, les mêmes valeurs, on ne parvient pas toujours à se comprendre ; alors que deux individus complètement étrangers l’un à l’autre auront peut-être plus de points communs.
Dans la troisième partie, observateur et observée se rencontrent enfin. Cette fenêtre ouverte sur l’intimité est leur point d’ancrage, leur code commun. Ensemble, ils vont réapprendre à vivre pleinement.
Pour résumer…
En creusant le registre des émotions, l’auteure soulève la question du bien-être, de la satisfaction personnelle. Le texte véhicule beaucoup de tendresse et de vague à l’âme, mais on perçoit surtout une réflexion approfondie sur la condition humaine.
Un roman aux interprétations multiples, ce qui en fait un texte riche et vraiment surprenant.
Ma note…
17/20
Coup de cœur !