On l’a tous connue, cette scène intérieure : une idée d’histoire s’impose, mais voilà que le téléphone sonne, les enfants réclament de l’attention ou le patron envoie un mail marqué « urgent ». L’écrivain moderne navigue entre deux rives : celle du feu créatif, et celle du réel, bien souvent encombrée d’obligations, d’imprévus et de vaisselle sale.
Alors, comment écrire sans s’épuiser ? Comment préserver l’élan, la flamme, quand la journée semble déjà consommée avant d’avoir commencé ?
Gérer son temps : apprendre à écrire dans le réel
Il y a des jours où j’aimerais que les heures se plient à ma volonté, qu’elles s’étirent juste un peu, le temps d’écrire cette scène, de trouver le mot juste, d’écouter mes personnages respirer.
Mais non.
Le réveil sonne, les obligations reprennent leur ronde, et l’écriture attend dans un coin, tapie comme un chat qui sait qu’on reviendra… Quand on pourra.
Depuis que j’ai commencé à écrire, je ne vois pas les semaines défiler. Et depuis que je suis devenue maman, cette sensation de manquer de temps comme on manque d’air n’a fait que s’accentuer. Combien de projets ai-je repoussés en me disant : quand je serai en vacances, quand je serai en congé mat, quand l’été arrivera, quand je serai moins fatiguée, quand la maison sera plus calme… Mais la vérité, c’est qu’aucun de ces moments idéaux ne s’est présenté. Il y a toujours un quelque chose de plus urgent que l’écriture. Et mes manuscrits restent pour la plupart dans ma tête…
Lorsque j’ai repris le travail après mon congé maternité, j’ai pris conscience que des années pourraient passer ainsi sans que j’écrive une seule ligne.
Était-ce que je voulais ?
Non.
Mais devrais-je faire avec la réalité ?
Oui.
Alors il allait falloir que j’apprenne à m’organiser différemment.
Voici les cinq points qui m’ont aidés à mieux gérer mon temps en tant qu’écrivain hybride.
1. Accepter que le temps n’est pas un ennemi, mais une matière à sculpter
J’ai cessé d’attendre le moment idéal.
Le temps ne se trouve pas, il se fabrique. J’ai découvert que l’écriture vit aussi dans les interstices : un quart d’heure avant le dîner, une phrase notée sur le téléphone à un feu rouge, une pause déjeuner en solitaire.
Même si je n’écris qu’une centaine de mots, c’est déjà ça !
💡 Astuce : écrire sur un support toujours accessible. Qu’il s’agisse d’un carnet à avoir toujours avec soi, ou via un logiciel d’écriture accessible en ligne. Personnellement, j’écris avec Scribbook depuis des années. Et lorsque je ne peux pas réellement me poser pour une vraie séance d’écriture, je prends des notes dans mon téléphone.
2. Créer un rituel, non un emploi du temps
Alors je l’avoue, je serai facilement attirée par l’idée de pouvoir poser un créneau fixe dans mon agenda et me dire « Tous les jours de 6 h 30 à 7 h 30, j’écris. »
Je l’ai fait pendant plusieurs années, avant un petit être ne vienne bouleverser tout mon planning, avant de déménager à 45 minutes de mon travail…
Je pourrais faire le choix de me lever à 5 h tous les matins pour retrouver ce créneau de paix, mais ce serait aller à l’encontre du bon sens.
Désormais, je ritualise l’inspiration afin d’entraîner mon esprit à se mettre dans les conditions de l’écriture. Je n’allume pas de bougie, je ne mets pas spécialement de musique, mais je m’isole physiquement avec un café.
J’aimerais pouvoir passer le stade supérieur et entrer dans ma bulle malgré le bruit et l’agitation ambiante, mais je ne force pas. La concentration est un muscle qui se travaille pas à pas.
💡 Astuce : choisir un déclencheur sensoriel : une odeur, un son, un geste pour conditionner le cerveau à entrer dans l’état d’écriture plus rapidement.
3. Fractionner pour durer
Voici l’une des astuces qui pour moi a été la plus efficace. J’ai arrêté de me comparer aux auteurs et autrices que je vois sur les réseaux sociaux et qui arrivent à écrire 1 500 mots à l’heure. Et je ne parle même pas de ceux qui arrivent à terminer le NaNoWriMo !
Je n’arrêtais pas de me dire que si je n’étais pas capable d’écrire beaucoup et bien, alors je n’étais pas autrice. Que de complexes pour pas grand chose !
Ma nature est différente et j’ai besoin de temps pour formuler mes phrases. D’ailleurs, je ne retouche que très peu mes premiers jets.
Alors je mise sur des petits actes de persévérance. Je me fixe pour objectif d’écrire 400 mots par jour. Parfois c’est plus, parfois c’est moins, parfois c’est rien du tout. Mais 400 mots par jour, c’est près de 150 000 mots par an. Un roman, somme toute…
La magie n’est pas dans la quantité, mais dans la constance.
💡 Astuce : se fixer un objectif minuscule, mais inévitable. Le plus dur, c’est de commencer, le reste suit comme une valse.
4. Se pardonner de ne pas tout faire
L’écriture est un acte exigeant, mais aussi un refuge. Si apprendre à gérer son temps est nécessaire pour pouvoir faire évoluer son écriture, il n’y a pas d’échec à ralentir.
Oui, certains jour, je n’écris pas. Ou je n’écris pas sur mon roman.
Qu’importe.
Je reste convaincue que la discipline est au service de la créativité.
L’écriture a besoin d’un cadre, comme une vigne qui pousse mieux sur un treillis.
Mais j’ai aussi appris à considérer le temps de gestation comme un indispensable créatif : les lectures, les rêveries, les promenades, le repos… Autant de choses qui nourrissent l’imaginaire. Ce n’est pas antinomique, c’est même une alchimie.
Les jours où je suis épuisée ou tout simplement trop accaparée, je ne me force plus à écrire, mais je reste fidèle à l’élan : je relis une scène, je réfléchis à la scène suivante, je travaille ma communication. C’est comme une respiration.
💡 Astuce : définir une routine de secours pour les jours sans énergie : planifier son roman, écrire sur autre chose, lire, etc. Cela entretient le lien sans pression.
5. Organiser son environnement d’écriture
Ce point-ci est très personnel et il ne trouvera peut-être pas d’écho auprès de toutes les personnalités.
Avant même d’écrire, j’aime préparer le terrain. Pas pour dompter l’inspiration, mais pour l’accueillir. Quelques notes griffonnées sur ce que je veux explorer ont le pouvoir de transformer l’angoisse de la page blanche en élan tranquille.
Je me rends compte que je suis bien plus productive quand j’arrive devant quelque chose, même un fil à tirer, plutôt qu’un vide.
J’ai donc pris l’habitude de finir chaque séance en notant la scène suivante. Ce n’est parfois qu’une réplique, ou une question laissée en suspens. Quand cela est possible, je prépare même l’ossature complète de mon manuscrit. Ainsi, je ne commence pas dans le néant : j’entre dans une conversation déjà commencée.
💡 Astuce : préparer ses textes en gardant toujours une note visible (papier ou numérique) indiquant ce sur quoi écrire la prochaine fois. Cela abaisse la résistance au démarrage et permet d’entrer plus vite dans le flux.
Attention, il ne s’agit pas forcement de préparer au millimètre. D’ailleurs, tous les écrivains ne sont-ils pas à la fois jardiniers et architectes ?
Le temps de l’écrivain n’est pas linéaire
C’est un sablier capricieux, qui coule selon l’attention qu’on lui donne.
Pour gérer son temps, le véritable art, c’est d’apprivoiser le chaos, de tisser du sens entre les contraintes, de transformer le quotidien en combustible poétique.
Car au fond, écrire, c’est déjà un acte de résistance : résister à la dispersion, au bruit, à la vitesse. C’est choisir, malgré tout, de s’arrêter un instant et de dire au monde :
« J’écris, donc je suis. »

