Rarement un livre m’a mis aussi en colère ! J’ai toujours eu une sainte méfiance de l’univers de la mode en toc plaqué or, dont l’évidente superficialité m’a toujours semblé malsaine. Pour en avoir de loin côtoyé les membres, j’avais perçu cette arrogance sournoise, ce dédain intolérable pour les “autres”; mais jamais je n’aurais imaginé la dangerosité d’un tel milieu. Bien sûr, j’avais conscience des problèmes d’extrême maigreur sans pour autant m’être penchée sur les images pour en constater les dégâts. Plus d’un pavé jeté dans la marre, le témoignage de Victoire Maçon d’Auxerre est une véritable sonnette d’alarme qu’il faut s’empresser d’écouter.
La quatrième de couverture…
“À 17 ans, en pleines révisions du BAC, Victoire fait du shopping à Paris, quand elle est repérée par un chasseur de mannequins. Engagée par l’agence Elite, elle mesure 1,78 m et pèse 56 kg. Trop grosse ! Ou pas assez maigre. Elle va perdre 9 kg en ne mangeant que trois pommes par jour, afin de répondre aux exigences tyranniques des maisons de couture.
En septembre, elle atteint la taille 32, sésame indispensable pour briller lors des castings, et participe avec succès à sa première fashion week à New York. Avec Milan et Paris, elle enchaîne vingt-deux défilés pour les plus grands créateurs : Céline, Alexander McQueen, Miu Miu, Vanessa Bruno… Elle entre dans le Top 20 des mannequins les plus demandés.
Mais derrière la soie et les paillettes, Victoire découvre un système inhumain : des adolescentes que l’on prend pour des femmes sont traitées comme des objets. La sélection est impitoyable et la maigreur devient une obsession. Elle est emportée dans la spirale de l’anorexie. Sept mois après ses débuts fracassants, elle fait une tentative de suicide et passe des podiums à l’hôpital.”
Mon avis…
Jamais assez maigre est un condensé de toute l’hypocrisie du milieu. Le mythe selon lequel juste en étant belle et sans faire trop d’efforts on peut gagner des millions, la manipulation de ces jeunes femmes, pour la grande majorité est à peine sortie de l’enfance, et qu’on sait séduire avec de belles promesses de jet set, de luxe et de célébrité. La condescendance de ces personnages tout en paroles mais finalement profondément approximatifs. Dès les premières pages, j’ai détesté tout ce que pouvait représenter ce pseudo agent imbu de sa personne, arrogant, suffisant, prétentieux et misogyne. Un profil qui n’a pas manqué de me rappeler mon ancien patron qui “est dans la mode” lui aussi. Mais si ce n’était que ça…
“Tu es canon! Regardez comme elle a maigri! ”
Lorsque j’ai lu cette phrase, j’ai eu envie de hurler. Comment peut-on associer la beauté à la réalité d’un corps blafard, chétif, presque cadavérique? Aujourd’hui encore, j’ai une incompréhension totale pour l’industrie de la mode. Quel est l’intérêt de concevoir un vêtement couture en taille 32 ou 34 alors même que les clientes qui se l’offriront ne pourront y passer une jambe ? Comment peut-on oser affamer une femme pour la faire rentrer dans des vêtements de poupée, alors même qu’on lui rajoutera des formes sur les photos des magazines ? Le monde luxueux de la mode n’a-t-il pas les moyens de s’offrir suffisamment de matière pour réaliser des vêtements en taille raisonnable ? C’est tellement inhumain !
“Puisque je n’étais pas si intelligente que ça, je n’avais plus qu’à être belle.”
Ça m’a révolté d’apprendre que Victoire s’est embarquée dans le monde de la mode, en quelques sortes pour palier un échec personnel. J’ai été frappée par la dureté de son jugement envers elle-même. Encore aujourd’hui, je trouve ses mots terrifiants et profondément injustes pour elle-même. Par ce qu’elle était déçue de ne pas avoir réussi le si convoité concours de Science Po, elle a remis toute sa vie en question. Comme si cet acte manqué la reléguait éternellement au rang des bonnes-à-rien. C’est justement ce sentiment sournois de dévalorisation qui m’a mis hors de moi, car les rabatteurs semblent avoir cette étrange faculté de repérer la brèche pour s’y engouffrer. Victoire explique clairement qu’elle s’est retrouvée dans cet univers par hasard. Le hasard, en voilà encore une chose qui fait rêver… Se sentir unique, se sentir l’élue !
Prendre pour proie la fragilité m’a révolté. C’est tellement simple de faire rêver une adolescente. Un peu de paillettes dans les yeux et ça y est, on entre dans le tourbillon infernal de cet univers ingrat et violent. La manipulation y est clairement décrite comme une pratique courante, mais c’est pour mieux cacher le dédain intolérable dont la mode fait preuve. Car bien vite l’illusion s’efface pour laisser la place au mépris, à la solitude et à la haine, entre filles, mais aussi de la part des intervenants. D’un coup, le mannequin n’est plus une femme qu’on admire pour sa beauté mais un cintre que l’on déplace et manipule à souhait. Car au-delà des sacrifices alimentaires, l’absence totale de considération est pour moi le plus terrible. Privées de toute liberté de choix, les filles s’en retourneraient presque à l’état animal, scrutées et positionnées comme le serait une vache au Salon de l’Agriculture.
Pour résumer…
Ce témoignage me trotte dans la tête. Naturellement, j’ai eu envie de me renseigner davantage, de voir quel a été le traitement médiatique accordé à cette histoire. Certes, j’ai vu que la promo de cet ouvrage avait été intense et rondement menée. Mais je suis choquée de constater que malgré son travail pour devenir comédienne, on continue de cantonner Victoire Maçon d’Auxerre à son statut d’ex-mannequin. Cette jeune femme m’inspire beaucoup de sympathie. J’espère la voir rapidement sortir de sortir de ce carcan que lui impose les média et évoluer très vite dans le monde du cinéma car loin d’être un simple corps, elle est avant tout un esprit. Un esprit lucide et avisé qui nous montre à quel point il peut être facile de perdre le contrôle de sa propre vie.
Ma note…
14/20