Vie d'auteure

Je n’ai pas osé faire payer mes livres…

Je n’ai pas osé faire payer mes livres…

Il y a parfois, dans la vie d’auteur ou d’une autrice, de petites scènes anodines qui révèlent de grandes choses. Il y a quelques semaines, j’ai vécu l’une d’entre elles : je n’ai pas osé faire payer mes livres…

Cela dit beaucoup du rapport que peuvent avoir certains écrivains à leur travail, à sa valeur et à eux-même. Cette expérience n’a rien d’extraordinaire, mais elle est riche d’enseignements.

Un scène aussi gênante qu’instructive

Comme beaucoup d’auteurs, j’ai une activité professionnelle à côté de l’écriture. Je ne l’ai jamais caché. Mais pour autant, je n’évoque pas forcément le sujet auprès de chaque personne que je rencontre. C’est pourquoi il arrive fréquemment qu’un collègue qui découvre ma deuxième vie s’enthousiasme pour cette passion et s’intéresse à mes textes.

J’en suis toujours très heureuse et flattée, surtout lorsque l’on partage un intérêt commun pour le même type de livres. C’est ce qui s’est passé il y a quelques semaines.

Une personne avec laquelle je travaille a découvert que j’étais autrice. Curieuse, elle m’a invité à parler de mes livres et m’a très vite dit qu’elle aimerait les lire. Je les lui ai apportés.

Elle les a pris entre ses mains, a feuilleté les pages avec un sourire, m’a félicitée, puis les a glissés dans son sac, comme on emporterait un cadeau.

Et moi… je n’ai rien dit.

Je ne lui ai pas demander de payer mes livres. Je n’ai pas su, pas osé, je n’ai pas trouvé la manière juste. Et même des jours plus tard, alors qu’elle m’indiquait passer un bon moment de lecture, je n’ai pas osé aborder le sujet.

Ma question : pourquoi ?

La posture d’auteur·trice : entre création et incarnation

Sur le moment, j’ai ressenti une légère gêne, ce petit pincement intérieur que l’on reconnaît bien quand on a laissé passer quelque chose d’important. Et puis je n’ai cessé d’y repenser, de le ruminer, de me demander pourquoi c’était si difficile à dire.

Avec le recul, j’ai compris : ce n’était pas tant une question d’argent qu’une question de posture.

Je n’avais pas incarné mon rôle d’autrice jusqu’au bout.

Le syndrome de la « gentille créatrice »

Ce genre de situation révèle souvent un malaise partagé par beaucoup d’auteurs. On est si heureux qu’on s’intéresse à notre travail, si reconnaissants qu’on le lise, qu’on oublie qu’il a une valeur. Mais ce réflexe cache souvent un petit manque d’ancrage : celui de la légitimité à recevoir en retour.

Cette hésitation porte un nom : le syndrome de l’imposteur.

Cette petite voix intérieure qui murmure : « Suis-je vraiment légitime à demander de l’argent pour ce que j’écris ?”

Elle s’installe souvent là où la passion et la sensibilité se croisent, chez ceux qui donnent beaucoup, qui doutent encore de mériter leur place.

J’y avais consacré un article de blog complet il y a quelques années, avec 6 conseils pour venir à bout de ce sentiment d’imposture. Ça m’a également fait beaucoup de bien de le relire.

La valeur n’existe que si on la nomme

J’ai offert mes livres sans le dire vraiment, sans le vouloir. Et la personne en face les a reçus, peut-être sans comprendre l’enjeu que cela représentait pour moi. En ce demandant même peut-être s’il s’agirait de bonnes lectures, puisqu’ils ne valaient… rien.

Je grossis le trait et pour être tout à fait franche, il me coûte d’écrire ces mots. Mais la blessure a son utilité, car l’erreur vient de moi.

Mon premier réflexe a été de me dire :  » Les gens sont vraiment mal élevés ! Ce n’est pas si difficile à comprendre qu’il s’agit là d’un travail important, qui mérite un échange équilibré. »

Eh bien… Si !

C’est souvent ainsi : si l’on ne dit pas la valeur, le monde suppose la gratuité.
Ce n’est pas de la mauvaise foi, c’est un simple flou d’intention. Une simple erreur de communication… (Les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés 🙄)

Faire payer mes livres : comment réagir ?

Dire le prix d’un livre n’est pas une faute de goût. Ce n’est pas réclamer non plus. C’est reconnaître que notre travail a de la substance, qu’il existe hors de nous.

On ne se dévalorise pas en demandant à être payé.e.s.
On s’honore.

En soit, il me suffisait d’une phrase toute simple pour poser le cadre avec bienveillance : « Je te les apporte avec plaisir, le roman est à 19,90 €. »

Pas besoin de se justifier, ni d’adopter un ton commercial : il suffit d’être clair et tranquille. La clarté est une forme d’élégance.

Et si le malaise monte malgré tout, voici quelques pistes :

  • Rappeler la valeur symbolique : « C’est toujours un bonheur pour moi de partager mon travail, chaque exemplaire vendu me permet de continuer à écrire. »
  • Préparer une phrase type, à garder sous la main pour les prochaines fois. Cela évite l’hésitation du moment.
  • Observer la peur sans la juger : si dire le prix paraît difficile, se demander ce que l’on craint vraiment : d’être jugé, d’être rejeté, d’être vu ?
  • Se souvenir que le prix n’altère pas la relation : celui qui veut soutenir notre travail le fera avec joie. Celui qui ne le comprend pas, n’était sans doute pas notre lecteur, et ce n’est pas grave.

En conclusion

En réalité, cette scène m’a beaucoup appris. Elle m’a rappelé que l’auteur ne vit pas seulement dans l’imaginaire : il vit aussi dans le concret, celui des échanges, du travail reconnu, du livre vendu. Ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de légitimité.

Car à chaque fois qu’on n’ose pas nommer la valeur de ce qu’on crée, on laisse le syndrome de l’imposteur parler à notre place. Et à chaque fois qu’on ose, qu’on assume, qu’on dit simplement “voici mon livre, voici son prix”, on fait taire cette voix un peu plus.

Aujourd’hui, je me promets une chose : plus jamais je ne laisserai mes livres s’envoler sans leur prix, car ce prix est la preuve qu’ils existent, qu’ils comptent, qu’ils ont une place dans le monde.

Offrir un livre, c’est un cadeau.
Le vendre, c’est un engagement mutuel : celui d’écrire encore, et d’être lu, vraiment.

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