Chroniques de livres Essai

Ainsi soit-elle • Benoîte Groult

Chronique littéraire Ainsi soit-elle par Mally's Books
C’est un monument de la littérature féministe. Imposant, déroutant, s’attaquer à la lecture d’Ainsi soit-elle fait peur. Bien souvent, on balaye l’idée d’un revers de main, se disant qu’il est bien inutile de ressasser le souvenir douloureux de situations dont on a bien trop souvent entendu parler. Le féminisme, c’est dépassé ! Vraiment ?! 
A treize jours du 8 mars, date célébrant la lutte historique pour l’amélioration des conditions de vie des femmes, n’êtes-vous pas choqué(e)s de constater qu’on parle davantage ce jour pour la programmation du match retour FC Barcelone/PSG que pour le souvenir qui lui est lié ? Je vous passe les remarques misogynes et les blagues de beaufs associés à cet événement, mieux vaut en rire ; mais personnellement, en observant que la « Journée Internationale des droits des femmes » est complétement moquée voire réduite à la célébration d’un soi-disant idéal féminin, j’ai mal à ma citoyenneté. 
Alors à quelques jours de cette date si spéciale, je me mobilise à ma manière. J’ai envie de vous parler d’Ainsi soit-elle, un livre qui a compté dans l’évolution des mœurs, et qui aujourd’hui encore, éclaire notre quotidien à la lumière de conventions encore bien ancrées.


 La quatrième de couverture… 

« On a trop longtemps pris la parole de l’homme pour la vérité universelle et la plus haute expression de l’intelligence, comme si l’organe viril constituait la plus noble expression de la sexualité.
Il faut que les femmes crient aujourd’hui, et que les autres femmes – et les hommes – aient envie d’entendre ce cri, qui n’est pas un cri de haine, à peine un cri de colère, car alors il devrait se retourner contre elles-mêmes, mais un cri de vie.

Il faut enfin guérir d’être femme. Non pas d’être née femme mais d’avoir été élevée femme dans un univers d’hommes, d’avoir vécu chaque étape et chaque acte de notre vie avec les yeux des hommes et les critères de hommes ; et ce n’est pas en continuant à écouter ce qu’ils disent, eux, en notre nom ou pour notre bien, que nous pourrons guérir. » 

Mon avis…

En 1949, dans une France meurtrie par la Seconde Guerre Mondiale, la publication du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir avait suscité une vague d’indignation. Pour la première fois, une femme osait s’interroger sur le rôle de ses comparses au sein de la société. Le destin d’une femme est-il vraiment tout tracé, ou a-t-elle la possibilité, tout comme l’homme d’en être maîtresse ? Une première fissure dans les bases, si solides, du déterminisme. 
En 1975, alors que l’ONU portait fièrement l’étendard de l’ « Année Internationale de la Femme », Benoîte Groult, journaliste et romancière Française, mettait un nouveau coup de pied dans la fourmilière. 31 ans après l’acquisition du droit de vote, 8 ans après la promulgation de la loi Neuwirth et alors que la loi Veil venait tout juste d’autoriser l’IVG, il était temps de faire un bilan : où en étions-nous de l’égalité ? Les femmes osaient-elles enfin prendre de la place ? 
Bien loin de l’espoir d’une vie plus épanouissante, l’auteure dressait le portrait d’une société prétendument moderne, mais au fond toujours aussi conservatrice. Alors qu’on s’empressait bien vite d’oublier des réalités, se cachant bien volontiers vers une évolution notable voire exponentielle des droits des femmes, Benoîte fut la première à rappeler que les mutilations génitales féminines étaient monnaie courante. Face à ceux invoquant le relativisme culturel pour justifier la pratique de l’excision, la ceinture de chasteté et autres réjouissances féminines, elle n’hésitait pas à définir le sens du mot violence. Quand à ces figures de proue du féminisme, celles sans qui le peu de droits acquis n’existeraient pas, que connait-on d’elles ? 
1975 – 2017, le constat reste le même. Désormais, les femmes sont autonomes, travaillent, font du sport, s’imposent dans la sphère culturelle, revendiquent leurs attributs féminins ; mais pourtant, lorsqu’il s’agit de nettoyer, cuisiner et s’occuper des tâches ingrates du quotidien notre genre est toujours en première ligne. La parité en politique est imposée par des quotas, l’avortement est un droit mais, dans les faits, pas toujours facile d’accès, la femme est toujours considérée (même par les autres femmes) comme une mère et difficilement acceptée si elle ne désire pas d’enfants. Quant à nos salaires, ils ne sont toujours pas l’égal de ceux de ces messieurs. 
Oui, les habitudes ont la dent dure… Mais bien au-delà du simple clivage hommes-femmes, Ainsi soit-elle nous sensibilise surtout sur le fait que nous, femmes, sommes aussi responsables de l’image que nous renvoyons, de la posture que nous véhiculons auprès de la nouvelle génération. Si nous sommes garantes de la transmission du savoir, à nous de faire bouger les frontières de l’acceptable. 

« Rien ne changera profondément aussi longtemps que ce sont les femmes elles-mêmes qui fourniront aux hommes leurs troupes d’appoint, aussi longtemps qu’elles seront leurs propres ennemies. » 

Pour résumer… 

A travers le regard de Benoîte Groult, Ainsi soit-elle prend la forme d’un manifeste de volonté de libération féminine. Féministe sur le tard, l’auteure analyse la condition féminine des années 70 à l’aune de ses propres expériences, relatant les freins et les obligations toujours associés à son genre.
On s’insurge devant l’injustice d’être née femme, on redécouvre de grandes figures féminines qui auraient grand besoin de justice dans l’histoire et peu à peu on prend confiance en l’idée qu’être femme est une fierté qu’on a parfois tendance à oublier. 
Quarante ans après sa publication l’essai semble encore aujourd’hui très actuel et nous rappelle la nécessité de s’affirmer pour combattre un destin de femme tracé d’avance. 

Ma note… 

17/20 

Citation : 

« C’est dur, mais y a pas d’os dedans. 
Ça bouge tout seul, mais ça n’a pas de muscles. 
C’est doux et touchant quand ça a fini de jouer, arrogant et obstiné quand ça veut jouer. 
C’est fragile et capricieux, 
ça n’obéit pas à son maître, c’est d’une susceptibilité maladive, 
ça fait la grève sans qu’on sache pourquoi, 
ça refuse tout service ou ça impose les travaux forcés, 
ça tombe en panne quand le terrain est délicat 
et ça repart quand on n’en a plus besoin ; 
ça veut toujours jouer les durs 
alors que ça pend vers le sol pendant la majeure partie de son existence… 
Il parait que nous aurions adoré avoir un truc comme ça. 
Il paraît que quand on n’en a pas, c’est bien simple, on n’a RIEN. »
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