La quatrième de couverture…
” Etre une femme ? Comment vivre en femme sur la planète des hommes ? A chaque époque sa réponse. Mais toujours le même présupposé : ce sexe-là est le deuxième, l’inférieur. Quatre femmes d’exception nous racontent l’histoire de la condition féminine. Celle d’un combat inouï contre un ordre – moral, social et sexuel – imposé depuis l’aube de l’humanité, d’une longue marche loin d’être achevée. “
Femmes, qui sont-elles vraiment ?
Cet ouvrage prend la forme d’un dialogue entre Nicole Bacharan, historienne et politologue, et Françoise Héritier, Anthropologue ; Michelle Perrot, Historienne spécialiste de l’histoire des femmes et Sylviane Agacinski, Philosophe qui se sont tour à tour interrogées sur des questions culturelles, historiques ou idéologiques. De Cro-Magnonne à nos jours, les quatre expertes nous montrent l’évolution de nos mentalités, du regard porté sur les femmes mais aussi des transformations dans leur vie quotidienne, la manière dont, selon les époques, elles ont été traitées aux différents âges de leur vie. Elles retracent également leurs combats pour s’émanciper du joug patriarcal puis marital, du carcan de la maternité et de la sexualité imposée.
Le gros plus de ce livre ? Casser les clichés et expliquer quelle est l’origine de ces constructions de pensées.
Pourquoi les femmes intériorisent-elles leur infériorité dès leur naissance ?
Pourquoi étaient-elles perçues comme une monnaie d’échange ?
Comment vivaient-elles la pression morale de mettre au monde un garçon ?
Qu’en est-il de la pratique des mutilations sexuelles comme gage de “protection” ?
Quand et comment ont-elles eu accès à l’alphabétisation ?
Pourquoi perpétuaient /perpétuent-elles l’ordre social ? La soumission ?
Autant de pratiques et bien d’autres encore qui semblent aujourd’hui effroyables mais qui étaient monnaie courante à l’époque et restent encore aujourd’hui le fardeau de nombreuses femmes.
Malgré les très nombreuses références et idées développées, le livre est très accessible et parfaitement compréhensible. La façon dont sont amenés les dialogues est sincèrement passionnante. On parle du rôle de la femme à travers le prisme de la famille, de la procréation, de la grossesse, de la vieillesse et de la religion et ces questions encore très actuelles permettent facilement de se projeter dans les situations décrites, de s’imaginer dans la peau de nos ancêtres. C’est glaçant, certes, mais pour moi essentiel pour comprendre le monde présent.
Histoire, philosophie et fécondité
La partie historique décrite par Michelle Perrot dresse un portrait très sombre, mais aussi très objectif de l’histoire de femmes et de tout ce qui a fondé les préjugés qui ont encore aujourd’hui la dent dure. La femme n’est finalement représentée ni plus ni moins que comme un animal, une propriété dont l’homme (père, mari, frère, oncle…) dispose selon son gré. Puis, plus on avance dans le temps plus on perçoit l’importance du rôle de la femme comme gardienne et transmettrice de valeurs, d’us, de coutumes, de cultures. Médiatrice, influente auprès des hommes, elle a malgré tout un véritable rôle dans la société et tire les ficelles avec finesse.
Dans son travail de déconstruction philosophique, Sylviane Agacinski s’est quant à elle intéressée aux genres des mots et à leurs sens. Personne ne trouve curieux de constater que dans la langue française, le masculin l’emporte TOUJOURS sur le féminin et prouve à lui tout seul le titre honorifique de multiples activités et notamment des métiers. Il n’est donc pas étonnant de voir qu’il existe de nombreuses charcutières, boulangères, infirmières, secrétaires, sage-femmes… activités longtemps considérées comme peu nobles donc exercées par les femmes ; mais beaucoup moins de maires(ses), de professeur€, de ministre et autre… Ce passage m’a paru très intéressant car dans l’essence même de notre langue latine on retrouve ce phallocentrisme qui d’une certaine manière défini les mentalités de ceux et celles qui la pratiquent. Alors même que l’anglais use du neutre ou que l’allemand féminine facilement tous les termes, on note dans ces pays une propension plus forte à l’égalité des sexes. N’est-il pas étonnant de constater comme la langue nous conditionne et exprime les valeurs de notre société ? La réflexion va même beaucoup plus loin puisque Sylviane Agacinski met en avant le fait que le masculin ne se contente pas d’être au-dessus du féminin, il l’absorbe et vaut pour tout le genre humain. L’humanité a-t-elle en genre ? Pourquoi ne pas faire du gynécocentrisme ?
Qu’en est-il enfin de la question de la procréation qui est largement débattue dans ce livre. Pendant des siècles, la femme a été réduite à la maternité sans quoi on lui retirait presque toute utilité sur Terre. Le contrôle des naissances était exercé par les hommes, les femmes étaient considérées pour leurs corps et non pour leurs esprits. Dans les sociétés occidentales, tout cela a désormais changé, les femmes ont pris le contrôle sur leurs corps grâce à la contraception mais paradoxalement, la difficulté à concevoir un enfant, voire la stérilité reste encore aujourd’hui une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. Le monde avance, la condition féminine aussi, mais il semble que les femmes elles-mêmes ont toujours du mal à faire évoluer la perception qu’elles ont de leur propre rôle. Pour bon nombre, le but ultime reste de fonder une famille, de jouir de ce privilège de donner la vie. C’est une force mais aussi une faiblesse car concilier maternité et carrière reste encore aujourd’hui difficile. En tant que femme, est-t-on alors complètement libres de nos décisions ? Le fait de continuellement choisir avec raison n’est-ce pas au détriment de nos désirs ?
Une question philosophique en entraîne bien d’autres…
Le point fort de ce livre ? Sa capacité à bouleverser ! Combien sommes nous à nous interroger sur nos choix de vie passés, actuels et futurs ? Ne repensons nous pas, parfois à nos idéaux en nous demandant si nos vies actuelles y correspondent ? Si tel n’est pas le cas, nous sommes-nous forcément trahies ? Sommes-nous sûres de vivre en accord avec nous-même ?
Chacune d’entre nous s’interroge un jour sur le rôle qu’elle veut jouer face à celui qu’elle doit jouer ; et les réponses diffèrent en fonction des périodes de nos vies. Cette lecture semble une bonne base d’apprentissage et de prise de conscience de son identité.
Pour résumer…
On se sentirait presque à court de mots pour parler de La plus belle histoire des femmes tant il chamboule la réalité. Cet ouvrage s’impose tout simplement comme un indispensable à tout être humain désirant mieux comprendre ses semblables. Tout simplement bouleversant de justesse…
Ma note…
18/20
F. Héritier, M. Perrot, S. Agacinsky et N. Bacharan
331 p. Seuil, 19,80 €
” Presque toujours la vie d’une femme commençait mal,
par la déception des parents et souvent la culpabilité de la mère
d’avoir mis au monde un être de second rang.”